Grandes étapes de l’évolution du site de Paulilles (1870-1984)

 

 

Implantation des dynamiteries de Paulilles d'après SNPE - 1987

 

Au cours de la période de 1870 à 1984, le complexe industriel de Paulilles a été plusieurs fois remanié. Ces remaniements ont résulté de multiples facteurs, parmi lesquels figurent principalement l’évolution des techniques de production et les besoins des marchés commerciaux. En 1870 a été créée une première fabrique composée d'un atelier de nitroglycérine, d'un atelier de dynamite et de quelques cartoucheries. Ce site a disparu et la mémoire s'en est également effacée[1].

En 1987, la Société Nationale des Poudres et Explosifs (SNPE) a procédé au recensement du patrimoine bâti en se fondant sur les archives internes de l’entreprise. Elle a ainsi recensé et localisé à cette époque trois sites dynamitiers, dont un site putatif originel, ainsi qu’un dépôt de produits finis au cap de l’Ullestrell. Les vestiges de ces dynamiteries numérotées par la SNPE : 0, 1 et 2, constituent les témoignages essentiels du patrimoine industriel de Paulilles.

Cette partie de l’étude extraite de l'« Histoire générale de Paulilles » réalisée pour le Conservatoire du Littoral en l'an 2000, a eu pour objet de compléter, dans la mesure du possible, les informations relatives à l'histoire de la dynamiterie, et notamment d’en sérier et préciser les grands ensembles patrimoniaux. Cette étude a été présentée en conservant la numérotation initiale SNPE des dynamiteries.

Généralités

La localisation de ce patrimoine témoigne de l’évolution de l’entreprise. Construite à la hâte dans l’anse de Paulilles, anse située au niveau de la mer par laquelle circulaient les produits, la première dynamiterie est plus précisément édifiée à proximité du premier lit de la rivière de Cosprons, dans un site favorable alimenté en eau douce (1870). Vers 1875-1885, les bâtiments occupent une superficie devenue double de l’espace initial, soit environ 17 à 18 000 mètres carrés.

Dès 1877, en phase d’expansion rapide, l’entreprise quitte ensuite ce berceau protecteur pour un lieu proche mais surélevé. L’espace industriel se déplace ainsi vers un promontoire rocheux, pour des raisons probables de sécurité des bâtiments contre les risques d’explosion, selon la SNPE. On peut également y associer l’idée d’une protection contre les crues, le cours du Cosprons étant dévié en 1925.

A cet espace fiable et longuement utilisé (1877-1984) s’ajoute durant le premier conflit mondial un second lieu de production de produits explosifs, en vue d’une commande particulière de la Défense nationale.

Malgré un dernier stade d’occupation de l’anse de Paulilles dans les années récentes (1970), le promontoire sud constitue toutefois le cadre principal des activités de l’entreprise. A celui-ci s’ajoutent en esquissant en quelque sorte un circuit en forme d’étoile, les lieux de dépôts d’approvisionnement des matières premières, les bâtiments civils, ainsi que les dépôts de produits finis.

Occupation de l'anse de Paulilles (dynamiterie 0)

 

Constructions en cours dans l'anse de Paulilles en 1916 - Col. part.

 

Succédant à la dynamiterie originelle de 1870 située le long du Cosprons, le site industriel intitulé dynamiterie 0, a été localisé par la SNPE au centre de la baie de Paulilles, en front de mer à proximité du rivage. Fonctionnel et légèrement complexifié jusqu’en 1890, il a ensuite été désaffecté et transformé en dépôt de détonateurs et d’amorces, de balistite en 1916. A partir de cet espace, l’extension du patrimoine bâti s’est effectuée depuis le front de mer vers l’intérieur des terres et a consisté en la création de hangars, magasins annexes, ateliers de réparation et éléments utilitaires tels que réfectoire, bascule et four à griller.

En 1925, le cours du Cosprons qui limitait près de son embouchure la dynamiterie originelle, a été dévié de son lit et transféré aux limites du Cap nord. Ultérieurement se sont implantés sur cet espace libéré diverses constructions récentes, parmi lesquelles figure « l’atelier de placage », abrité au sein d'une architecture dite "conventionnelle".

Au plan visuel, une triple lecture de cet espace de la dynamiterie 0 peut donc être effectuée, comportant d’une part des constructions remplaçant la dynamiterie de 1890 (conservées), d’autre part des annexes remaniées, enfin des bâtiments contemporains (rasés lors de la requalification du site, exception faite d'un hangar).

L’intérêt de l'anse de Paulilles réside également en d’autres éléments, et notamment, en la présence de la maison du directeur et de la cheminée, dernier symbole du site alors industrialisé. Sans pouvoir dater la maison du directeur avec précision, il convient de souligner que les premières maisons d’employés, logements d’ouvriers et “maisons” originelles sans autre précision datent respectivement de 1882, 1883 et 1884.

Excentrés par rapport à la demeure du directeur, des logements collectifs ont pour leur part été édifiés à l’ouest de la route nationale. Un second immeuble collectif a été construit en retrait, dans une période beaucoup plus récente (années 1930 ?), tout en conservant une architecture identique. Au voisinage des logements collectifs les plus anciens, a été édifiée dans les années 1880 l’école de Paulilles, seconde école de Port-Vendres, fondée en raison de la croissance de la population ouvrière[2].

 

Vue des environs du château d'eau - 1887 - Col E. Praca

 

Situés non loin de la mer, le local de la vapeur et par extension la cheminée, dateraient pour leur part de 1883[3]. S’ajoutent sur cette partie du site quelques puits témoignant de l’importance de l’eau dans le lavage de la nitroglycérine, et notamment un ancien château d’eau. Il semblerait être le dernier représentant de réservoirs initialement bâtis en 1875, selon les matrices cadastrales conservées aux Archives départementales[4].

Un dernier point à souligner concerne l’orientation initiale de la production vers la mer. Au-delà du « mur des Allemands », érigé sous l’Occupation et dont les vestiges sont encore visibles, existait en effet un embarcadère, construit dès les origines en bois, puis en structure métallique. Coulé et présent dans les fonds marins, il fut remplacé à peu de distance par un ponton flottant, déroulé selon les besoins.

Dynamiterie dite du « Cap sud » ou de la montagne (dynamiterie 1)

 

Dynamiterie de la montagne - Promontoire rocheux avançant dans la mer - SNPE - 1987

 

Cette dynamiterie est située au sud de la baie de Paulilles. Fonctionnant de 1877 à 1984, elle est celle dont l’activité fut la plus durable et la dernière des fabriques d’explosifs en activité. A la différence de la dynamiterie 0 implantée sur un site fertile, son édification et en particulier ses défenses creusées dans un socle rocheux apparaissent les plus spectaculaires.

En raison de l’explosion de 1958, cet ensemble a subi un remaniement, modifiant à la fois son bâti originel et en modernisant le fonctionnement. Ce remaniement se caractérise en particulier par l’implantation de nouvelles cartoucheries et par leur automatisation. Des remblais de terre et de schiste, ainsi que de béton armé, y ont été associés.

Pour une meilleure lecture du bâti du cap sud, nous avons procédé à la confrontation entre trois documents : plan de l’anse de Paulilles n°2186 du 11-2-1971 ; étude des dangers de l’établissement désaffecté, par la SNPE, du 16-10-1987 (en particulier plans annexes), recensement des bâtiments et ouvrages du site de Paulilles, conduit en août 2000 par M.M. BARTHE, de la D.D.E. de Perpignan, WIENIN, de la D.R.A.C. Languedoc-Roussillon et PIERROT, ancien chef du S.D.A.P. 66.

La numérotation des bâtiments dans le dernier document cité et leur confrontation avec les autres dossiers permet en définitive de dénombrer, sur le promontoire du cap sud, sept ensembles classés selon leur fonction, à savoir :

N°100 et suivants : dépôts de matières premières

N°200 et suivants : fabrication de nitroglycérine

N°300 et suivants : fabrication de dynamite

N°400 et suivants : abris

N°500 et suivants : cartoucheries

N°600 et suivants : emballage

N°700 et suivants : dépôts de produits destinés à la commercialisation.

Cette numérotation détermine en outre un sens de circulation qui explicite le mode de fabrication de la dynamite, au moment où ces bâtiments étaient encore en élévation. Globalement, le cap sud peut être divisé en 3 ou 4 grands espaces correspondant aux grandes étapes de la fabrication.

1 - A l’origine se trouvent les locaux de séchage du coton et de tamisage du coton encore humide (exceptionnellement numérotés 53 et 54). Ceux-ci sont localisés près des locaux numérotés 151 à 153. Après la phase de séchage (151-152) et de pesage du coton sec (153), celui-ci est porté aux dépôts 115 et 116, situés à proximité des ateliers de fabrication de nitroglycérine (201 à 206) et de fabrication de la dynamite (311 à 313).

2 - Dans les locaux 201, 202 et 203 s’effectuent la nitration et le mélange nécessaire à la fabrication de nitroglycérine. En 204 s’effectue le filtrage de la nitroglycérine liquide puis son pesage automatique (205) avant la séparation lente des excédents de composants acides (206). Cette séparation se fait à l’écart de tout autre atelier de fabrication, les vestiges de protection y apparaissant en outre imposants. La nitroglycérine rejoint alors les ateliers de pétrissage de la dynamite, au nombre de trois dans ce secteur (311 à 313). Cette dernière opération à l’origine manuelle a été mécanisée puis automatisée, mais demeure toujours considérée comme une opération “ physique ” par opposition à la fabrication chimique de la nitroglycérine.

3 - Cet ensemble concerne la dernière phase, celle de mise en cartouches de la dynamite, celle-ci se présentant initialement sous forme de boudins linéaires. De petites cartoucheries (523 à 528) ont été construites sans locaux d’abris. Elles côtoient deux locaux d’emballage et de paraffinage (621 et 622). En vis-à-vis, les cartoucheries (532 à 536) alternent avec des ateliers d’emballage et de paraffinage (631 à 635). Ce dernier ensemble est protégé par des abris (432 à 436). Les abris suivants (441 à 444) protègent une dernière cartoucherie (542). Dans ce secteur subsistent, quoique récentes, les galeries de circulation les plus spectaculaires. Outre un certain souvenir du processus de fabrication à grande échelle, y subsiste également celui de l’explosion de 1958.

 

Paulilles - Vue générale - Cap Oullestreil en arrière-plan

4 - Enfin, les dépôts d’explosifs en voie de commercialisation (700 et suivants) sont principalement situés dans un lieu à l’écart, au Cap Oullestrell. Celui-ci a à ses origines une fonction militaire de défense maritime. Pour mémoire, durant la période de 1879-1880, cette batterie qui protége vers le sud l’anse de Paulilles est progressivement abandonnée au profit du fort Béar, en cours de construction au nord de l’anse, sur le cap Béar. Il est prévu qu’elle soit déclassée après l’achèvement du nouveau fort. Le 3 avril 1879, le ministère de la Guerre autorise la location de la batterie à la société de Paulilles. Celle-ci y installe dès cette période un nouveau dépôt de dynamite[5]. C’est donc depuis 1879 que le cap Ullastrell sert officiellement de dépôt à l’usine de Paulilles. Il est plus tard désaffecté mais gardienné jusqu'en 1965.

Dynamiterie n°2 (dite du Cap nord)

Située au nord de l’anse de Paulilles, la dynamiterie n°2 est édifiée pour les besoins de la Défense lors de la Première guerre mondiale, et a effectivement fonctionné pour une production de balistite (ainsi que d’oléum), de 1916 à 1918 selon la SNPE. Elle sert ensuite de dépôt de munitions aux Allemands lors de la Seconde Guerre Mondiale. La construction de cette partie du site est désormais parfaitement illustrée et datée par une série de photographies prises lors du premier conflit mondial.

Conclusion provisoire

Ce découpage de l’espace industriel en quelques grands ensembles, pour schématique qu’il apparaisse, met en évidence les principales étapes de l’évolution du site.

Au terme de cette évolution industrielle, 117 bâtiments et vestiges ont été plus précisément recensés en août 2000. Leur datation ne pouvant être exhaustive, ont été mis en évidence, pour les besoins de l’étude, les éléments paraissant les plus intéressants lors des visites sur le terrain. Dans la mesure de leur intérêt futur, de nouvelles datations devraient apparaître lors de prochains dépouillements d’archives.

L’intérêt du site de Paulilles réside également dans le fait qu’il constitue un modèle, les fabriques comportant systématiquement une triade de bâtiments – fabrique de nitroglycérine, fabrique de dynamite et cartoucheries – et ces fabriques étant systématiquement protégées par des levées de terre naturelles ou des élévations artificielles. L’ensemble de la dynamiterie est ainsi constitué, pour des besoins de sécurité, de bâtiments séparés les uns des autres mais ayant chacun un lien fonctionnel entre eux.

Quels que soient les remaniements successifs intervenus sur le site, cette règle simple permet d’identifier rapidement cette forme d’espace industriel, à la fois pionnier et caractéristique sur le territoire national.

E. PRACA

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BIBLIOGRAPHIE

SNPE, Paulilles - Etude des dangers de l'établissement désaffecté, 16-10-1987.

D'après PRACA Edwige, Histoire générale de Paulilles (1870-1984). Première synthèse, Conservatoire de l’Espace littoral, Région Languedoc-Roussillon, Montpellier, vol. 1,  2001, p.18-22.

POUR EN SAVOIR PLUS

Sur les origines de la dynamiterie : PRACA Edwige, Dynamiterie de Paulilles : 1er plan du site en 1870, in Le site de Paulilles à la croisée des chemins de l'histoire internationale et de l'histoire locale (1865-1875), partie Annexes, Conservatoire de l'Espace littoral Languedoc-Roussillon, Perpignan-Montpellier, 2002.

Egalement : PRACA Edwige, Résumé et sommaire, in Histoire générale de Paulilles. Première synthèse, Conservatoire de l'Espace littoral, Région Languedoc-Roussillon, Montpellier, vol. 1, 2000.

 


[1] Plan cependant in A.D.P.O, 8S167.

[2] A.D.P.O. 135J7/6, 310 ouvriers à Paulilles en 1920.

[3] A.D.P.O. 1026W146, bâti 1883-1914, avec dates antérieures d’achèvement des travaux. Il n’existe cependant pas de table de concordance permettant une transcription avec le cadastre actuel.

[4] A.D.P.O. 1026W146, bâti 1883-1914, avec dates antérieures d’achèvement des travaux.

[5] E. PRACA, étude inédite sur le site de Paulilles, 1998.