Paulilles – Une page d'anthologie paternaliste – 1877

 

Le 24 juillet 1877, une explosion à la dynamiterie de Paulilles provoque la mort de trois personnes, dont deux jeunes filles. Après le décès de Marie-Antoinette Ganivet, jeune ouvrière de 27 ans, la Société Générale pour la Fabrication de la Dynamite s’engage à indemniser les parents de la victime. Le contrat d'indemnisation comprend des frais de deuil et une pension de vieillesse. Antérieurement à la loi de 1898 sur les accidents du travail, la société intervient en effet par une transaction amiable, afin d’aplanir les contestations susceptibles de survenir avec l’entourage familial. 

Menée entre la société et les parents de la défunte, la transaction est ratifiée dès le 7 août 1877 devant notaire. Celle-ci a été négociée par Alphonse Brunet, ingénieur à la Société Générale pour la Fabrication de la Dynamite, agent du Syndicat des Fabriques de dynamite. Temporairement affecté à Paulilles, celui-ci y remplace alors le directeur de la fabrique, Xavier Bender, lui-même blessé dans un accident fin 1876. 

Frais de deuil et pension de vieillesse

Marie-Antoinette Ganivait vivait au domicile parental, le père étant maçon à Port-Vendres, la mère demeurant au foyer. La société se substitue dès lors à la victime et constitue aux parents une pension « à titre de secours alimentaire pour leur assurer des moyens d’existence durant leur vieillesse ». Le document sous-tend ainsi le schéma classique d’une famille élargie au sein de laquelle les enfants prennent en charge, le moment venu, la retraite des parents. Il exprime l’idée que la victime aurait pu « un jour, dans leur vieillesse », venir en aide à ses parents, « par son travail et ses économies ».

Dans le détail, le couple perçoit une indemnité pour frais de deuil s’élevant à la somme de 1000 francs et une pension annuelle d’un montant de 350 francs. La société s’engage à remettre immédiatement l’indemnité de deuil, et à acquitter la pension par trimestre à terme échu, avec effet rétroactif au premier jour du mois de l’accident[1]. Réversible, la pension doit être perçue par le mari pendant la durée du mariage, au titre de chef de la communauté légale[2] ; « annuelle, viagère et alimentaire », elle n’est ni cessible, ni saisissable[3]. Ainsi conçu, le contrat est ratifié par les parties, à l’exception de l'épouse, ne sachant signer[4].

Une politique paternaliste

Dans la réalité des faits, le contrat témoigne du déséquilibre des forces existant entre la société anonyme et la famille ouvrière. Alors que l’indemnité de deuil apparaît relativement élevée, le montant de la pension annuelle s’avère en effet faible. Par comparaison, il représente environ un mois d’appointements octroyés à l’ingénieur Alphonse Brunet.

La domination apparaît également d’ordre culturel. En tête du document, figure surtout un préambule constituant une véritable page d’anthologie paternaliste. Le texte  impute en effet l’accident à l’imprudence ouvrière, souligne la mansuétude de la société et sa bonté à l’égard des parents de la victime, et se fait l’interprète de leur gratitude, en remerciement des sommes versées.

Le texte reflète dès lors la satisfaction de la société échappant à une procédure judiciaire sensiblement plus onéreuse. Dans le même temps en effet, celle-ci affronte un premier procès et prévoit une provision de plusieurs milliers de francs à verser à une autre victime, pour sa part rescapée d’un précédent accident. Dans le cas de Marie-Antoinette Ganivet, la paix sociale est, au contraire, acquise à moindre coût et dans des conditions favorables à la société.

E. PRACA

 

DOCUMENT

Transaction amiable après explosion

Extrait - 7 août 1877

 

« Le vingt-quatre juillet dernier, par suite d’une malheureuse explosion de Dynamite, résultant, suivant toute probabilité, de quelque imprudence d’ouvrier, sans que la faute puisse en être imputée avec raison à la société, Melle Marie-Antoinette Ganivet a été tuée dans la baraque où l’accident fatal est arrivé.

Melle Ganivet demeurait avec ses père et mère, et aurait pu, un jour, dans leur vieillesse, leur venir en aide avec son travail et ses économies.

Dans cet état de choses, la Société Générale pour la Fabrication de la Dynamite, sans rechercher à qui incombe la faute de la mort de Melle Ganivet, prenant en sympathique et juste considération l’âge et la position de ses père et mère, a proposé à ceux-ci, par l’intermédiaire de M. Brunet, son agent, et ce tout spontanément, de leur remettre pour frais de deuil une somme de Mille francs, et puis de leur servir, à titre de secours, une pension annuelle et viagère de trois cent cinquante francs, réversible sur la tête de dernier survivant d’eux, ce qui a été accepté cordialement par les mariés Monsieur et Madame Ganivet (…)».

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SOURCES

ADPO, 3E62/63, Etude Me Vincent Pi, notaire à Collioure, 7-8-1877, acte n°193, « Traité entre la Société Générale (anonyme) pour la fabrication de la dynamite et les mariés Jean Ganivet et Jeanne Antoinette Audiger ».

POUR EN SAVOIR PLUS

PRACA E., Personnel de la dynamiterie de Paulilles - Divers, site Amis de Paulilles, rubrique Administration/Personnel.

PRACA E, Paulilles - Dynamite - Explosion du 24 juillet 1877, Site Amis de Paulilles, rubrique Risques/Accidents - Grèves.

PRACA Edwige, Alphonse Brunet, agent du Syndicat des Fabriques de Dynamite, Site Amis de Paulilles, rubrique Administration/Patronat.



[1] Article 1.

[2] Article 2.

[3] Article 4.

[4] Les témoins sont un menuisier et un maçon de Port-Vendres.