Les chemins de Paulilles – Article 2008

 

Paulilles - Vue aérienne - 2008

 

« Quand donc l’homme se lassera-t-il d’user son intelligence dans la recherche des moyens les plus destructeurs de sa race ? Quand viendra l’époque bénie où, franchement ralliés aux seuls travaux pacifiques, les peuples détourneront leurs regards des exigences si cruellement ruineuses et dévastatrices de la guerre ? On ne peut, en vérité, étouffer un cri de révolte, lorsque, parcourant la délicieuse petite crique de Paulillles, on se trouve aux portes…d’une fabrique de dynamite ! Oui, dans ce coin de terre où toutes les séductions d’un paysage tropical, alliées à un climat admirable, paraissent convier au repos, à la poésie, aux arts, les matières les plus dangereuses sont manipulées et s’exportent en aussi grandes quantités que possible ».

Telle était l’exclamation émise en 1888 par Ch. F. Aubert, par ailleurs lauréat de l’Académie française, dans un ouvrage intitulé  « Le Littoral de la France », au départ d’un itinéraire amorcé au cap Cerbère.

Une géographie romantique

De fait, incessamment parcourues pour leurs richesses botaniques, paysagères, agricoles et minérales, les Pyrénées-Orientales sont d’abord réputées pour leur beauté. Au tournant du XXe siècle un autre auteur en publie une description ravie dans le Journal des Voyages : « Le département des Pyrénées-Orientales possède ces deux splendeurs de la nature : la mer et la montagne. Sur son territoire, l’imposante chaîne des Pyrénées dresse le superbe Canigou, qui, par suite de son isolement, pyramide dans l’espace comme un dominateur. Du massif principal de la chaîne se détachent des contreforts qui s’étendent sur le département et donnent à tous les sites des aspects pittoresques, grandioses et agrestes….Les cités du littoral ne sont pas moins séduisantes, émergeant des flots de la Méditerranée sur des horizons de montagne ; c’est ainsi que se montrent Collioure et sa voisine Port-Vendres ».

Située au sud de Port-Vendres, l’anse de Paulilles comptait alors à son actif un riche passé médiéval. Au Moyen Age, elle appartenait à la maison de Puig d’Orfila, de Collioure, dont la dynastie s’était ensuite éteinte sur le sol roussillonnais, mais dont une branche s’était fixée dans l’île de Majorque. Elle avait eu un véritable port, le vieux Port-de-Valenti, plus tard Valentin, nom qui était resté à un petit torrent descendant le cap Biar : le Valentinell. Les sédiments, entraînés par deux rivières descendues des montagnes, avait toutefois fini par combler l’espace portuaire, reléguant son existence au rang de simple souvenir.

Les jardins de Port-Vendres

Ce déclin, entériné depuis longtemps, avait motivé au XVIIIe siècle le choix du site voisin de Port Vendres, pour la création d’un nouveau port, plus commercial que militaire. Dans le même temps, la paix civile accompagnant le siècle des Lumières, devait permettre la transformation du Port-Vendres, alors minuscule hameau, en une ville ouverte, c’est-à-dire construite sans remparts. Symbole de la cité idéale, cette innovation architecturale, encore unique en France, allait toutefois se heurter aux impératifs de l’histoire. La Révolution française, au cours de laquelle éclatait à nouveau une guerre entre France et Espagne, mettait en effet un terme à cette belle utopie de fin de siècle. En 1794, le général Dugommier assurait la victoire française en faisait débarquer à Paulilles la grosse artillerie qu’il dirigeait sur le fort Saint-Elme défendant Port-Vendres, alors occupé par les Espagnols.


Mateu d'Orfila (1787-1853)

 

Une fois la paix revenue, la lignée d’Orfila pouvait à nouveau se prévaloir d’une illustre descendance. Né en 1787, Mateu d’Orfila, bientôt naturalisé français, fut en effet un pionnier de la toxicologie et de la médecine légale. « On ne peut oublier l’organisateur des Ecoles préparatoires de médecine, le créateur du Musée d’anatomie comparée et de l’Hôpital des cliniques de l’école de Paris, le généreux fondateur de la Société de prévoyance des Médecins français » écrivait encore Ch. F. Aubert. Ce précurseur de la médecine, décédé en 1853, sous le Second Empire, laissait dès lors un nom reconnu dans les annales scientifiques.

Pour sa part, au cours du XIXe siècle, le site de Paulilles bénéficiait d’une accalmie temporaire : « le site de Paulilles est les jardins de Port-Vendres » écrivait alors, maladroitement, un habitant de la ville. Depuis la première moitié du siècle en effet, le port de Port-Vendres connaissait une nouvelle expansion, liée au creusement de sa rade et à la récente colonisation de l’Algérie. Son développement et son essor démographique avaient dès lors fait transporter les jardins nécessaires à la subsistance de sa population sur le site de Paulilles. A compter de 1838, en effet, l’espace en avait été rendu propice à la culture par les déblais qu’on y avait transportés du grand bassin de Port-Vendres, et l’eau douce présente sur les lieux contribuait dès lors à en augmenter la fréquentation et l’attractivité.

Les chemins de l’histoire


Alfred Nobel (1833-1896)

Mais l’accalmie devait être de courte durée. La chute de l’Empire et la guerre de 1870 allaient une fois encore donner une orientation défensive au site. C’est en effet à cette période qu’y fut implantée par Alfred Nobel une usine de dynamite, première usine de dynamite créée en France et sixième dans le monde, dont la fermeture interviendrait cette fois en 1984. Née des contingences militaires, la révolution industrielle frappait de plein fouet le quotidien du site, désormais transformé, au sens le plus expressif du terme, en une immense poudrière à ciel ouvert.

Plus d’un siècle d’occupation intensive laissaient finalement place à une vaste friche industrielle, dont la densité et la complexité du bâti ne parvenaient toutefois pas à occulter l’extrême beauté de l’espace, « la ligne magique mais étroite, à la frontière de la terre et de la mer ». Temporairement, en phase d’essor touristique, la tentation fut ensuite grande d’y réaliser une opération de spéculation foncière et immobilière. L’acquisition du site par le Conservatoire du Littoral de la Région Languedoc-Roussillon aboutit toutefois en 2008 à un réaménagement en profondeur, marqué par la disparition de l’ancien substrat industriel, et un retour aux valeurs paysagères, écologiques et botaniques du site. A Paulilles, l’histoire se répétait-elle donc ?

« Le département est formé, en sa plus grande partie, du Roussillon, dont l’histoire n’est qu’une suite de guerres et d’invasions » constatait l’un des journalistes voyageurs. Et si au-delà du cycle qui vient d’être décrit mais dont le déroulement échappe à la conscience immédiate, se profilait une autre réalité ? En d’autres termes, la préservation de la richesse botanique et biologique, la recherche de la beauté n’auraient-elles pas d’autre sens que la pitié pour l’humain ? L’instinct de survie prend parfois des chemins détournés, comme l’atteste cette brève chronique. Mais quel que soit le chemin emprunté, Paulilles s’avère dès lors une quête, une source intarissable à laquelle s’étanche notre soif inextinguible d’humanité.

E. PRACA

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BIBLIOGRAPHIE

AUBERT Ch. F., Le Littoral de la France, 5e partie, Du cap Cerbère à Marseille, Paris, 1888.

BRUYERE Jean, Journal des Voyages, 16 juillet 1905.

PAMS Gaston, « Port-Vendres et son histoire », in Mixte. La revue de la Cie de navigation mixte, juin 1960.

PRACA E., « L’enfer au paradis. Histoire et patrimoine de l’usine de dynamite de Paulilles », in L’histoire et le patrimoine de la société industrielle en Languedoc-Roussillon-Catalogne, PUP, 2007, p. 217-245.

PRACA E., « Les chemins de Paulilles »: article paru lors de l’inauguration du site de Paulilles, hebdomadaire La Semaine du Roussillon, n°644, Perpignan, 11 au 17-9-2008.