Enjeux de la dynamite gomme - 1880

 

 

Inventée par Alfred Nobel en 1875, la dynamite gomme se répand dans les divers pays européens selon un axe nord-sud. En France, sa fabrication progresse à compter des années 1880 ; elle s’effectue alors à l’usine Nobel de Paulilles, dans le département des Pyrénées-Orientales. Dans le même temps, la production de dynamite gomme s’accompagne de l’abandon de la production d’explosifs vernaculaires, fabriqués notamment à base de charbon de bois.

Dynamite gomme et espace européen

Début 1880, la fabrication de dynamite gomme est évoquée dans une lettre adressée par Nobel à Louis Roux, directeur à Paris de la société française de dynamite. Selon ce courrier, cette fabrication est ainsi développée « depuis longtemps à Presbourg », ville de Hongrie située sur les bords du Danube. En Allemagne et en Suisse, la tendance est d’employer l’explosif le plus fort : « la gomme ou la gomme au nitrate d’ammoniaque ». A Stockholm, « on est très content de la gomme à base de nitrate d’ammoniaque tirée de mon brevet anglais ».

« Ces quelques renseignements - ajoute Nobel - vous permettront d’apprécier quand il sera temps d’introduire en France la fabrication de la gomme sur une grande échelle ». Sur le ton collaboratif propre à l’inventeur, la vocation de ce courrier est donc d’encourager la production du nouvel explosif sur le marché français, dont l’expérimentation et la fabrication ont débuté à l’usine de Paulilles, seule usine Nobel existant alors en France. De fait, en 1879, la production de dynamite gomme s'y trouve encore inférieure à 3,5 tonnes, contre un total de 552 tonnes de dynamite ordinaire, commercialisé cette même année.

Fin des dynamites vernaculaires

« Je serais ravi – ajoute encore Nobel – de voir disparaître tous ces numéros de la charbonnerie de bois et dont on me fait le parrain involontaire ». Il existe en effet en France une production de dynamite à base de charbon de bois, liée à l’usage traditionnel et encore généralisé de ce dérivé forestier. Cette fabrication résulte à Paulilles de l’usage local du liège charbonné et pulvérisé, auquel s’ajoute une importation en provenance de Kabylie. Diverses dynamites sont issues de cet absorbant de la nitroglycérine, dont la numérotation varie suivant le dosage qui en est fait. Le choix de cet absorbant n’est toutefois pas le fait d’Alfred Nobel, qui en récuse expressément la paternité.

De fait, cette dynamite vernaculaire ne permet pas toujours de concurrencer la poudre ordinaire, avec laquelle elle présente parfois des similitudes de dosage, en conséquence de force ou de puissance[1]. A l’opposé, par l’introduction d’une forte proportion de nitroglycérine et d’autres composés chimiques, la dynamite gomme induit dès lors une réorientation des marchés intérieurs, différenciant nettement la production Nobel de celle des poudreries d’Etat. Cette transition d’une production à l’autre constitue donc un enjeu majeur dans la stratégie économique de Nobel.

Un projet globalisant

Plus largement encore, la fabrication de dynamite gomme marque un tournant dans l’histoire générale des explosifs industriels. A compter de 1880, son extension à l’ensemble du territoire européen s’accompagne en effet de la disparition progressive des dynamites à base spécifique. La lettre de Nobel adressée au directeur de la société française de dynamite relève de cette mutation programmée. Elle induit à Paulilles la disparition d’une production différenciée, au profit d’une nouvelle et vaste production d'ensemble, désormais normalisée et uniformisée.

E. PRACA

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SOURCES

Archives Nationales de Suède, Stockholm, lettre d’Alfred Nobel à Louis Roux, 23-2-1880.

POUR EN SAVOIR PLUS

Article : Pierre Besson (1817-1885) - Usage du liège à Paulilles, site Amis de Paulilles, rubrique Patrimoine.

Article : Fondateurs de la Société des Lièges appliqués à l’Industrie - 1872, Site Amis de Paulilles, rubrique Administration/Patronat.

PRACA E., Promotion de la dynamite gomme - 1881, site Amis de Paulilles, rubrique Productions.



 

[1] Pourtant numérotée par Nobel, la dynamite n°2 est ainsi un mélange de charbon de bois, de salpêtre, de terre siliceuse et d’une faible part de nitroglycérine.