Ecole de Paulilles - Fondation et premières photographies - 1881-1887

 

 Classe de Paulilles - Elèves debout - 1887

 

En septembre 1881, le Conseil départemental de l’instruction publique évalue que, situé à 4 km de la commune de Port-Vendres, le hameau de Paulilles compte « en y comprenant le hameau voisin de Cospéron, plus de 500 habitants ». Les nombreux enfants des deux hameaux, de Cosprons et de Paulilles, ne peuvent alors, « à cause de la distance », se rendre dans les écoles existant à Port-Vendres.

Le directeur de la dynamiterie implantée à Paulilles offre dès lors « d’installer gratuitement l’école dans le hameau dans un local convenable », proposant en outre « de fournir une subvention annuelle de 600 francs pour aider la commune à assurer le traitement de l’instituteur ». A la suite de cette proposition financière, le Conseil de l’instruction publique délibère à l’unanimité « de créer une école mixte de hameau à Paulilles ».

Six ans après la fondation de la Société Générale pour la Fabrication de la Dynamite, propriétaire du site industriel, Xavier Bender, directeur de la fabrique de Paulilles est donc autorisé à établir sur les lieux une école partiellement subventionnée par l’entreprise, bénéficiant en conséquence d’un statut semi-public. Les premières photographies scolaires datent de 1887: deux d'entre elles ont été conservées.

Première photographie d’extérieur : élèves debout

La première photographie représente un groupe d’élèves accompagnés de leur maître, posant debout devant un porche d’entrée. Trois rangées d’élèves y figurent par ordre de taille. Précieux par son ancienneté, ce document diffère des clichés postérieurs par le fait que les élèves posent en effet debout [2] et par une relative absence d’uniformité dans le maintien des élèves.

« La différence sociale par les pieds » commente le propriétaire contemporain des clichés. De fait, les jeunes enfants situés au premier plan portent soit des bottines, soit des sabots, ou ne portent pas de chaussures du tout et sont photographiés nu-pieds. Dès lors, cette première photographie de gamins scolarisés témoigne de la précarité de la condition sociale du salariat local, qu’il soit d’origine agricole ou industrielle.

A cette époque, les élèves dont les parents sont les plus fortunés sont par ailleurs revêtus d’une blouse de couleur et l’un d’eux porte une ceinture. D’autres sont revêtus d’une blouse claire, d’autres encore - la majorité - d’une blouse aux tons neutres : en définitive, tous les élèves ne portent pas non plus de blouse ou de sarrau uniformisé. La différence mais aussi la mixité sociale sont toutefois illustrées par cet ensemble où les élèves les mieux vêtus sont réunis aux élèves moins fortunés au sein d’un même établissement scolaire.

Photographie d’intérieur : élèves assis en classe

 

 

Classe de Paulilles - Vue intérieure - 1887

 

La photographie d’intérieur illustre les conditions matérielles dans lesquelles l’enseignement est dispensé à l’école de Paulilles. Eclairée par des fenêtres, la salle de classe est chauffée par un poêle à bois ou à charbon. Les élèves sont assis devant des pupitres en bois inclinés et  placés en rangs le long d’une allée centrale. Au fond de la classe sont suspendues des cartes géographiques, témoignant de l’importance pédagogique - mais aussi stratégique - accordée à cette discipline.

En 1887, la loi de Jules Ferry ayant rendu l’école gratuite ne date que de quelques années (1881) et l’instruction obligatoire et l’enseignement public laïque datent de 1882. Aussi, cette photographie ne présente qu’une première mise en oeuvre de cet enseignement : une classe unique rassemblant les élèves les plus jeunes et les plus âgés et nécessitant plusieurs niveaux d’apprentissage. Une classe de garçons, dans laquelle l’élément féminin apparaît encore absent.

Enfin, la plupart des élèves portent les cheveux ras, signe de l'application d’une hygiène collective. Toutefois, hors du champ de l'image, des épidémies frappent ponctuellement le milieu scolaire. Ainsi en 1899, une épidémie de scarlatine entraîne la fermeture temporaire de l’école. A la suite de cette mesure, l’instituteur Emile Bataille demande sa réouverture le 10 décembre 1899. Sur proposition du maire de Port-Vendres, et suivant accord préfectoral et académique, cette autorisation lui est donnée le 30 décembre de la même année[1].

Une identité contradictoire et contrôlée

De fait, l’instituteur le plus connu de l’école de Paulilles est Emile Bataille, né en 1866 à Puyvalador, dont l’employeur clairement énoncé est « l’usine de Paulilles ». Epoux de Marie Ramonatxo, celui-ci réside, avec d’autres employés, comptables, chefs ouvriers ou ingénieurs, sur le site de la dynamiterie. Au tournant du XXe siècle, il existe par ailleurs à l’école de Paulilles un patronage intitulé La Bienfaitrice, placé sous la présidence du directeur de la fabrique. Enfin, dans l’entre deux guerres, la mutualité scolaire a pour objet d’inciter à la prévoyance les enfants scolarisés, en vue de leur future retraite : il existe à Paulilles une section de la Société scolaire de secours mutuels de Céret, composante locale relevant de cette dernière circonscription.

En résumé et au-delà de l’anecdote, l’école de Paulilles résulte d’une initiative de scolarisation impulsée dans le cadre ministériel de la Troisième République et participe de l’identité républicaine et nationale appliquée au département des Pyrénées-Orientales. Parmi les ministres figure alors Paul Barbe, promoteur du site dynamitier, devenu ministre en 1887. Plus largement l’école de Paulilles apparaît comme un projet conçu par les théoriciens de la condition ouvrière de son temps.

Un projet paternaliste, influencé par Paul Barbe mais aussi par la lignée Le Play, tous administrateurs des principales sociétés européennes de dynamite. Une entreprise réformiste, soucieuse de paix sociale mais socialement inégalitaire, ainsi qu’en témoignent les premières photographies scolaires. Une maîtrise sanitaire problématique, comme le souligne la vocation industrielle du site. Une entreprise contrôlée, comme le souligne le statut financier de l’école, dépendant de la subvention patronale des dynamitiers. En bref, un laboratoire social porteur des problématiques de son temps - alphabétisation, prévoyance sociale, paternalisme - dont les approches iconographiques et archivistiques reflètent l'ampleur et la complexité.

E. PRACA

 

SOURCES

ADPO 122EDT408, Extrait du registre de délibérations du Conseil départemental de l’instruction publique, 23-9-1881.

ADPO 1T263, épidémie de 1899.

Fonds iconographique : archives privées.

POUR EN SAVOIR PLUS

PRACA Edwige, Histoire générale de Paulilles (1870-1984). Première synthèse., Site Amis de Paulilles.

PRACA Edwige, Ecole de Paulilles - Alfred Nobel bienfaiteur - 1891, Site Amis de Paulilles, rubrique Risques/Protection sociale.


PRACA Edwige, « L'anse de Paulilles renoue avec son passé », interview par Fanny LINARES, La Semaine du Roussillon n°527 du 8 au 14 juin 2006 : "Une entreprise paternaliste...".

VAILLS Miquela i Joan Lluis, Port Vendres...fa temps, vol 2 , Revue Terra Nostra n°36bis, Prades, 1981 : dans ce numéro, photographies de groupes d'élèves de l'école de Paulilles, années 1898-1910.



[1] ADPO, 1T263.

[2] cf. position assise ensuite généralement admise dans les photographies du début du XXe siècle.