Patrimoine parisien : hôtels particuliers des industriels de la dynamite

 

Maison de Nobel à Paris 16e - Avenue Malafoff - Vue ancienne

 

A Paris, les promeneurs peuvent redécouvrir les traces des premiers industriels de la dynamite et admirer, dans une certaine mesure, l’architecture de leurs hôtels particuliers. En 1870, Paul Barbe est avec Alfred Nobel l’un des fondateurs de l’industrie de la dynamite en France. On connaît de ce dernier et célèbre inventeur, son hôtel particulier situé avenue Malakoff (16e). En 1876, Paul Barbe réside pour sa part Villa Montmorency, au n°4 de l'avenue du Square à Auteuil  (16e). Cette voie privée appartient à un lotissement huppé et confidentiel, de nos jours encore réservé à la grande bourgeoisie.

Villa Montmorency

 Entrée de la Villa Montmorency - Col. BNF - Second Empire

 

Pour mémoire, située à Paris dans le quartier d’Auteuil, la Villa Montmorency est un lotissement résidentiel composé de six avenues et d’une cinquantaine de maisons individuelles, édifiées en 1860 selon les plans de l’architecte Théodore Charpentier. Propriété de Léon Payen, greffier de la chambre du conseil du tribunal civil de la Seine, la villa située au 4 avenue du Square est louée à compter d’octobre 1874 à Paul Barbe (1836-1890), maître de forges et associé d’Alfred Nobel dans la fabrication de la dynamite.

Elevée sur cave et composée d’un rez-de-chaussée et de deux étages, cette villa entourée d’un jardin est louée au prix annuel de 3500 francs. Paul Barbe quitte ainsi son ancien domicile, précédemment situé 22 rue de Lisbonne à Paris. Dans le même espace, il loue également une écurie et remise situées à proximité, dans une maison au 30 avenue d’Auteuil, moyennant un loyer annuel de 1000 francs. D'autres immeubles témoignent de ce patrimoine architectural, dont cet article donne une esquisse.

Hôtels particuliers de la rue d’Aumale

 

Immeuble 8 rue d'Aumale - Paris - Cliché Mairie 9e

Devenu député et brièvement ministre de l’agriculture (1887), Paul Barbe s’installe ensuite au 12 rue Condorcet puis au 8 rue d’Aumale à Paris dans le 9e arrondissement. En ce temps, on peut donc considérer le 8 rue d'Aumale comme une demeure privée ministérielle. Cet hôtel particulier s'accorde d'ailleurs avec sa fonction. Il "se distingue par le soin accordé aux trois travées centrales. La porte d'entrée est encadrée de volutes fleuries et le grand balcon est surmonté d'une imposante balustrade en pierre (...). Les pilastres corinthiens donnent à cette façade, l'aspect cossu d'un « immeuble-hôtel » qui n'a que trois étages carrés (...) et dont les lucarnes en pierre de taille renvoient à l'image prestigieuse de l'hôtel particulier" indique la Mairie de Paris.

Convenant à son statut de veuf, ajoutons que cet hôtel particulier est alors pourvu d'une abondante cave à vin et comprend cuisine, salon, deux chambres, cabinet de travail et bureau de secrétaire. C'est à cette adresse que Paul Barbe décède le 29 juillet 1890. Non loin de son domicile, au 17 rue d’Aumale, se trouve par ailleurs le siège de la Société Centrale de Dynamite, fondée en 1887 et dont P. Barbe fut président. Celui-ci y disposait d’un bureau au premier étage. Cette adresse était initialement celle de la Société Générale pour la Fabrication de la Dynamite, fondée par A. Nobel et P. Barbe en 1875, pour l’exploitation de la dynamiterie de Paulilles (Pyr.-Orientales). Les deux sociétés déménagent ensuite dans un vaste immeuble à entrée monumentale, sis au 67 boulevard Haussmann, dans le 8e arrondissement.

Autres hôtels particuliers parisiens

Les 16e, 8e et 9e arrondissements constituent l'espace privilégié de ces demeures d'industriels et hommes d'affaires. Situé sur la rive droite de la Seine, le 9e arrondissement accueille ainsi les parents de Paul Barbe, domiciliés 47 rue de Maubeuge, où ils vivent jusqu’aux années 1880. Proche de ce dernier et l’un de ses exécuteurs testamentaires, l'ingénieur Georges Vian demeure pour sa part 53 rue de Châteaudun, dans un imposant immeuble à porte cochère sis dans le même arrondissement. D’autres hôtels particuliers illustrent encore l’ascension sociale de la lignée.

Epouse d’un chef de bataillon, l’une des filles de Paul Barbe est pour sa part domiciliée 34 rue de Bassano (16e arrondissement), non loin des Champs-Elysées. Une seconde fille, épouse d’un courtier de banque, demeure 22 rue Pierre Charron (8e arrondissement), puis s'installe au 109 rue du Ranelagh (16e arrondissement). Ultérieurement, cette maison devient mitoyenne de celle d'Alain Peyrefitte (1925-1999), homme politique, écrivain et académicien français. Une troisième fille, rentière, est domiciliée 96 bd des Batignolles, dans le 17e arrondissement. Tous ces immeubles présentent des façades ornementées.

Résidence d’été à Neuilly-sur-Seine

L’été enfin, Paul Barbe fixe sa résidence au n° 1 de la rue Saint James, à Neuilly-sur-Seine. Cet hôtel particulier appartient alors à la Société civile des Terrains de Puteaux, dont il est l'un des principaux actionnaires. Cette habitation d’été comprend une cuisine, un office, un cellier, une cave, une antichambre, une salle à manger, un grand salon, un escalier, une chambre de maître, un petit bureau, une lingerie. La domesticité se compose d'une cuisinière, d'un valet de chambre, d'un cocher et d'un palefrenier, disposant chacun d’une chambre.

Agrémenté de deux jardins, dont aussi l’un d’hiver, l’hôtel particulier comprend également une chambre d’amis. Relevant d'un environnement rural, les communs sont constitués d’une serre, d'une remise, d'une sellerie, d'une écurie abritant quelques chèvres et des chevaux. Désormais toutefois, l’immeuble est répertorié comme un « spécimen assez classique de l’Art Déco », dont l’originalité réside dans une "belle verticale de hublots octogonaux faisant référence à l’architecture des paquebots".

Maison Nobel à Paris : d'une industrie à l'autre

L'immeuble le connu demeure enfin l'hôtel particulier d'Alfred Nobel, situé, suivant rectification de la voirie urbaine, 50 puis 59 avenue Malakoff dans le 16e arrondissement. Inventeur de la dynamite, celui-ci est avec Paul Barbe, le  promoteur de la dynamiterie de Paulilles, créée en 1870 dans les Pyrénées-Orientales. Ce département méridional est également le berceau de la grande industrie du papier à cigarettes de marque Job, dont la dynastie d'industriels se trouve, entre autres, superbement photographiée lors d'une excursion dans les rochers de Paulilles.

La dynastie Bardou-Job étant associée à celle des Pauilhac, pour leur part manufacturiers du papier Job à Toulouse, c'est à Georges Pauilhac (1871-1959), administrateur toulousain de la société, que revient après le décès d'Alfred Nobel, l'acquisition de l'hôtel particulier de l'avenue Malakoff. Industriel mais aussi grand collectionneur, celui-ci fait modifier les plans de l'ancienne maison Nobel, en confiant à l'architecte A. Lehosne le soin d'y ajouter une galerie d'exposition, destinée notamment à ses collections d'armes et d'armures anciennes. Depuis 1990, cet ancien hôtel parisien, passé d'Alfred Nobel à Georges Pauilhac et actuellement devenu 59 avenue Poincaré, est classé à l'inventaire des Monuments historiques.

Un patrimoine à redécouvrir

En résumé, les domiciles urbains et ruraux de Paul Barbe illustrent l’ascension financière d’une lignée d’industriels à compter du Second Empire. Originaire de Nancy, Paul Barbe est tout d’abord directeur de la fonderie d’art de Tusey et maître de forges à Liverdun (Lorraine) dans les années 1860. Il voit sa fortune décuplée par la naissance et l’essor de l’industrie de la dynamite dont il est l’un des promoteurs.

Quittant les espaces septentrionaux pour faire de Paris le coeur de son empire industriel, Alfred Nobel s'installe pour sa part dans la capitale française au terme de la guerre de 1870. C'est de son pied à terre parisien que, durant deux décennies, il préside notamment aux destinées des grands travaux publics dans le monde. Affectant la Société Centrale et la Société Générale de dynamite, le scandale de Panama occulte toutefois partiellement l’existence de cet ancien patrimoine privé et dynamitier.

Cet article a donc pour objet d’attirer l’attention sur ce patrimoine parisien encore existant, à la forte personnalité architecturale. A tout le moins est-il possible d’en admirer les façades et entrées monumentales, symbolisant la puissance d’un secteur industriel en pleine expansion à compter des années 1875.

 E. PRACA

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REMERCIEMENTS

Nos remerciements à Mme BORDAZ, Archives Nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine. Article réalisé, entre autres, à partir des actes d'état civil et de l'inventaire après-décès de Paul Barbe.

ICONOGRAPHIE

Mairie 9e arrondissement de Paris - Direction de l’urbanisme - Parcours Notre-Dame de Lorette - Nouvelle Athènes - Immeuble 8-10 rue d'Aumale (n°9 sur le plan) : "Les immeubles des 8 et 10 rue d'Aumale sont mitoyens et semblent se compléter par leur décoration. Le n° 10 a été construit en 1864 par Adrien Sibert (élève d'Henri Labrouste) avec un décor sculpté de Rouillère. Il est inscrit à l'Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques. Le n° 8 se distingue par le soin accordé aux trois travées centrales. La porte d'entrée est encadrée de volutes fleuries et le grand balcon est surmonté d'une imposante balustrade en pierre (au lieu de l'habituelle grille de fonte). Les pilastres corinthiens donnent à cette façade, l'aspect cossu d'un « immeuble-hôtel » qui n'a que trois étages carrés (au lieu de quatre) et dont les lucarnes en pierre de taille renvoient à l'image prestigieuse de l'hôtel particulier."

POUR EN SAVOIR PLUS

A noter : c'est à son domicile 8 rue d'Aumale  à Paris que Paul Barbe, promoteur de la dynamite en France avec Alfred Nobel, décède le 29 juillet 1890 :

PRACA E., Funérailles imposantes de Paul Barbe - 1890, site Amis de Paulilles, rubrique Administration/Patronat.

PRACA Edwige, Essor du patronat dynamitier : la Société Centrale de Dynamite et ses filiales (1887-1937) , conférence du 23 janvier 2014, Maison de la Catalanité, Perpignan.

Histoire du 59 Poincaré, Les Salons Privés du 59 Poincaré. Un lieu chargé d'Histoire, Site Internet.

AUTRES INDUSTRIELS CONNUS

Collectif, La Belle Epoque des Bardou, Art et industries papetières à Perpignan, Catalogue d'exposition, Perpignan, Musée des Beaux-Arts, 2011, 208 p.

PRACA Edwige, Société Bardou-Job et Pauilhac - Statuts de 1897 - Site Amis des Bardou, rubrique Articles/Bardou-Job.

PRACA Edwige, Perpignan à l'ère industrielle - L'exemple du papier à cigarettes Job (XIXe - début XXe s.), in Perpignan une et plurielle, Ed. Trabucaire/Ville de Perpignan, 2004, p.154-203.