Abris et tranchées de la Défense passive à l'usine de Paulilles - 1942-1943

 

Cahier "Défense passive" de Paulilles - Col. part.

 

Parmi les archives privées de Paulilles, figure un cahier d’écolier manuscrit, intitulé « Défense passive[1] ». Selon ce document, la défense de la dynamiterie en temps de guerre est organisée en plusieurs services dont les premiers mentionnés sont la « Permanence de la défense passive en dehors des heures de travail » et le « Service de contrôle, de surveillance et de liaison de la défense passive ». S’y ajoutent en particulier les Services de l’alerte, de l’extinction des lumières, de la protection du personnel, de la protection contre les gaz, d’incendie et un service sanitaire.

Lors du second conflit mondial, a donc été créé sur le site industriel de Paulilles un Service de la protection du personnel, constitutif de la mise en défense de l’entreprise. L’organisation locale en est la suivante : placé sous l’autorité du chef de service Crézé, celui-ci est constitué de J. Malé[2], C. Ribes, J. Pou, ainsi que d’ouvriers terrassiers, maçons, menuisiers etc., tous corps de métiers nécessaires à la mise à l’abri des personnes se trouvant sur le site.

Cette protection, d’ordre matériel, consiste en effet en abris et tranchées répartis sur le site de la dynamiterie, destinés à accueillir le personnel en cas d’alerte. Selon le décompte effectué à partir de ce cahier, le volume théorique de personnel à protéger s’élève au minimum à 638 personnes. L’objet de cet article est donc de présenter brièvement ces protections temporaires, constitutives de l’histoire de la dynamiterie durant la Seconde Guerre Mondiale.

Abris de la Défense passive sur le site de Paulilles

On peut distinguer sur le site de Paulilles les abris couverts des abris découverts. Au nombre de quatre, les abris couverts sont établis soit dans des aqueducs situés sous la voie ferrée Narbonne-Cerbère, soit dans des caves d’habitations existant sur le site. Ils peuvent recevoir un volume total de population estimé à 412 personnes pour trois abris, le quatrième n’étant pas documenté dans le cahier « Défense passive »[3].

 

Modèle d'abri couvert - Guerre 1939-1945

 

L’Abri n°1 est situé dans un aqueduc existant sous la voie ferrée Narbonne-Cerbère, sans autre précision. De fait, la dynamiterie est située entre la Méditerranée et cette voie ferrée, d’où elle bénéficie d’un embranchement particulier. Long de 26 m sur 3 de large et 2,70 de hauteur, ce premier abri a une superficie de 78 mètres carrés, représentant un volume de 210,6 mètres cubes. Sa contenance est de 100 personnes durant une heure.

Cet abri est destiné à recevoir les occupants des habitations Jaulent, Montagnac, Lavail, Girold, ainsi que la sous direction et l’école de Paulilles. Une partie des populations établies sur le site entre la route nationale et la voie ferrée, lui sont donc affectées. Le chef d’abri  est G. Alabert, remplacé par Brau à une date à préciser[4].

Dans cet abri, souscrivant aux précautions de l’époque, des dispositions sommaires ont été prises « contre les gaz ». Elles consistent en deux panneaux de bois de 2,70 m x 3 m, dont l’un a été découpé d’une porte. « Doubler les 2 panneaux avec couvertures laine » indique une note du service. En cas d’occupation, l’éclairage est fourni par lampe portative électrique.

L’Abri n°2 est également situé dans un aqueduc sous la voie ferrée, connu sous le nom de « Puits Pams ». Cette dénomination fait référence au mas Pams, domaine viticole située à proximité du site industriel et dont une recherche cadastrale devrait permettre d’affiner l’emplacement et la localisation de cet élément du bâti[5]. Il serait en effet intéressant d’établir une relation, ne serait-ce que d’ordre topographique, entre ce puits relevant du patrimoine privé et l’aqueduc de chemin de fer provisoirement affecté à la protection civile.

En tout état de cause, plus vaste que le précédent, cet aqueduc mesure 30 m de long sur 4 de large et autant de hauteur. Sa superficie est de 120 mètres carrés et son volume de 480 mètres cubes. Sa contenance est de 240 personnes durant une heure. Les mêmes dispositions y ont été prises contre les gaz. Cet abri est destiné à recevoir les occupants des habitations neuve et Laumi, Mas, Lizana, Aroles, le personnel du magasin général et celui du laboratoire de l’usine. Le chef d’abri est M. Berta.

L’Abri n° 3 est pour sa part situé dans les caves des habitations Laumi et Mas, également propriétés de l’entreprise de Paulilles. Long de 12 m sur 6 de large, sa superficie est de 72 mètres carrés et son volume de 144 mètres cubes. Sa contenance est de 72 personnes durant une heure. Les mêmes dispositions y ont été prises contre les gaz. Cet abri est destiné à recevoir le personnel d’urgence, à savoir celui de garde et du central téléphonique de l’usine. Le chef d’abri est M. Mas. Pour mémoire, l’abri n° 4 n’est pas documenté.

Confortant ces informations, le Service Historique de la Défense conserve pour l’usine de Paulilles la correspondance (novembre-décembre 1942) et le plan (« S.N.F. Usine de Paulilles », calque, plan, feutre, décembre 1942, 21/27 cm, éch. 1/500) de l’un de ces abris ferroviaires, comme faisant partie des réquisitions de matériel effectuées en temps de guerre.

Tranchées de la Défense passive sur le site de Paulilles

Aux abris couverts de Paulilles s’ajoutent trois tranchées naturelles. La première est située à l’est du réservoir d’eau de mer, la seconde à l’extrémité du chemin traversant la vigne Ferrer, la troisième sous la route du Fourat. Initialement ravins à ciel ouvert, composantes naturelles du paysage de Paulilles, ces dépressions longues et étroites peuvent recevoir en temps de guerre un volume estimé à 226 personnes.

 

 Tranchée de la Défense passive

Est du réservoir d'eau de mer (1942-1943)

 

Située à l’est du réservoir à eau de mer, la Tranchée n°1 mesure 80 m de long sur 1 mètre de large et 2,10 m de profondeur. Sa contenance est estimée à 160 personnes. Cette tranchée est destinée au personnel des divers services de fabrication qui lui sont proches : Dynamiterie, Poudres absorbantes, Caisses, Boîtes en carton, Timbrage, Regagnage et Centrale n°1. Le chef en est E. Lavail.

La Tranchée n°2 est un ravin situé à l’extrémité du chemin traversant la vigne Ferrer. Mesurant 100 m de long sur 0,80 m de large et autant de profondeur, sa contenance est de 50 personnes. Elle est destinée au personnel des ateliers et à celui de la Caserne Pou (caserne ouvrière). Aucun nom de chef n’y est cité.

La Tranchée n°3 est un ravin situé sous la route du Fourat, ravin dont la description est faite en deux parties. Selon cette description, la partie sous le ponceau du chemin du Fourat comprend tout d’abord une petite portion de 4,50 m de long sur 1,40 m de large et 1,50 m de profondeur. A cette partie est affectée une contenance de 16 personnes, dont l’on peut se demander si elle est réservée à la direction de l’usine. Au-delà du chemin Fourat, le ravin s’étend ensuite sur 120 m de long, 1 m à 1,80 m de large et 1 à 2 m de hauteur, et la tranchée n°3 dans son ensemble est affectée au personnel des bureaux et à la direction de l’entreprise. 

 

Une recherche ouverte

En résumé, les tranchées à ciel ouvert du site de Paulilles peuvent recevoir en temps de guerre 226 personnes, s’ajoutant aux 412 précédemment évaluées dans les abris couverts, soit un total de 638 personnes théoriquement protégées, non compris un abri manquant, comme indiqué précédemment. Utilisant le dénivelé naturel du site, les tranchées s’inscrivent dans les lignes de force du paysage local, avec lesquelles l’entreprise a initialement dû composer pour la disposition de ses ateliers.

Les deux premiers abris couverts sont établis dans des aqueducs édifiés lors de la construction de la voie ferrée Narbonne-Cerbère, construction également soumise aux contraintes du relief des Pyrénées-Orientales. Lors de la Seconde Guerre Mondiale, ces aqueducs, de même que le puits Pams, deviennent des abris de défense lors des raids aériens. Fondées sur l’utilisation des aqueducs et des citernes, ces pratiques de défense sont identiques à celles généralement observées sur le territoire français.

Les abris de Paulilles servirent-ils de cache aux résistants ? La question reste posée. En tout état de cause, mis au jour grâce aux archives encore existantes, ces abris ferroviaires et privés font partie de l’histoire et du patrimoine départemental. Symptomatiques de l’histoire des entreprises lors de la Seconde Guerre mondiale, ils en illustrent les risques pour les populations ouvrières. Risque majeur s’il en est à Paulilles, venant augmenter celui d’explosivité, intrinsèquement lié, sur ce site historique, à la fabrication de la dynamite. La recherche est donc ouverte, en espérant le croisement des sources écrites avec le diagnostic archéologique à effectuer par Guillem Castellvi, et la mémoire des descendants locaux. 

E. PRACA

 

DOCUMENT

Annexe - Cahier « Défense Passive de l’Usine de Paulilles »

1. Service de la protection du personnel

 

Crézé : chef du service de la protection du personnel dans les abris, il a sous ses ordres C. Ribes et J. Pou, ainsi que des ouvriers du bâtiment.

Pou Julien : affecté au service de la protection du personnel dans les abris, sous les ordres de Crézé. Egalement garde d’incendie sous les ordres de A. Mas ; chargé de l’affichage et de l’entretien des plans et consignes de l’usine.

Ribes C. : affecté au service de la protection du personnel dans les abris, sous les ordres de Crézé.

 

2 - Abris et tranchées du site de Paulilles

Berta : chef de l’abri n°2.

Brau : chef de l’abri n°1, remplaçant G. Alabert.

Habitation Alabert : orientation des occupants vers l’abri n°2.

Habitation Aroles[6] : orientation des occupants vers l’abri n°2.

Habitation Girold : orientation des occupants vers l’abri n°1.

Habitation Jaulent : orientation des occupants vers l’abri n°1.

Habitation Laumi : orientation des occupants vers l’abri n°2.

Habitation Lavail : orientation des occupants vers l’abri n°1.

Habitation Lizana[7] : orientation des occupants vers l’abri n°2.

Habitation Mas[8] : orientation des occupants vers l’abri n°2.

Habitation Montagnac : orientation des occupants vers l’abri n°1.

Caserne Pou[9] : caserne ouvrière, orientation des occupants vers la tranchée n°2.



[1] Cahier non daté,  15 p. manuscrites à l’encre. Certains patronymes ont été raturés et remplacés au crayon, marquant deux temps d’utilisation.

[2] Nom ensuite barré, date non précisée.

[3] Le 4e abri n’est pas documenté dans le cahier.

[4] Nom barré et remplacé par celui de Brau, date non mentionnée.

[5] Le mas Pams a fait l’objet de deux emplacements successifs, le premier mas étant trop exposé aux risques d’explosion.

[6] Henri Aroles, personnel ouvrier.

[7] Julien Lizana, personnel ouvrier.

[8] André Mas, personnel ouvrier.

[9] Julien Pou, personnel ouvrier.


 

SOURCES

Cahier "Défense passive", collection particulière.

POUR EN SAVOIR PLUS

PRACA E., Personnel affecté à la Défense passive de l'usine de Paulilles, Site Amis de Paulilles, rubrique Administration/Personnel.