Xavier BENDER, directeur de la dynamiterie de Paulilles (1845-1933)

 

Intérieur de la dynamiterie - Cugny - Seine et Marne - v. 1906

 

Né le 29 octobre 1845 à Phalsbourg (actuelle Moselle), Xavier Bender est le fils de Marie Madeleine Fris et de François Alexandre Bender, dernier maire de Phalsbourg au moment de l’annexion du territoire par les Prussiens, lors de la guerre de 1870[1]. Figurant parmi les militaires de la guerre franco-prussienne, à laquelle il participe comme lieutenant d’artillerie dans la garde mobile de la Meurthe[2], il est blessé au siège de Toul, cité à l’ordre de l’armée et promu chevalier de la Légion d’honneur le 3 octobre 1871. De cette époque datent ses premiers services dans l’industrie de la dynamite, aux côtés de Paul Barbe, associé d’Alfred Nobel dans la promotion de cette nouvelle substance, utilisée pour la première fois en France lors du conflit de 1870. Xavier Bender devient ensuite le premier directeur de la dynamiterie de Paulilles après la loi de 1875 autorisant la fabrication de la dynamite par l'industrie privée.

En service à la dynamiterie de Paulilles

De retour de Toul, Xavier Bender est en effet tout d’abord attaché à Tours au Service des reconnaissances par décision du 16 novembre 1870 de Léon Gambetta, ministre de l’Intérieur et de la Guerre. Le 31 décembre de la même année, il est ensuite envoyé par le gouvernement siégeant alors à Bordeaux en service à la dynamiterie de Paulilles, près de Port-Vendres, dans les Pyrénées-Orientales[3]. Cette dynamiterie a été fondée par ordre spécial de Gambetta émis à Tours le 30 octobre 1870 et dépend de la Société générale de Paulilles, première société fondée en France par l’industrie privée pour la fabrication de dynamite[4]. Cette première nomination est écourtée en raison de la défaite. Xavier Bender est licencié de ses fonctions le 1er juillet 1871, à la suite de la ratification du traité de paix consenti en faveur des Prussiens[5].

Formé par Alfred Nobel, Xavier Bender devient ensuite directeur de la fabrique suisse de dynamite d’Isleten lors de sa fondation en 1872-1874. En raison de son expérience dans la fabrication de la dynamite, il est à nouveau nommé directeur de l’usine de Paulilles fin 1875, sur proposition de Paul Barbe, administrateur de la Société générale pour la Fabrication de la dynamite et dont A. Nobel a été nommé président honoraire[6]. Cette société a été fondée pour la reprise de l’exploitation de la fabrique de Paulilles, temporairement interdite après guerre, à la suite du rétablissement en France du monopole d’Etat sur la fabrication des explosifs.

Remplaçant Fernand Feutrier, directeur provisoire chargé de la réinstallation de la fabrique, Xavier Bender est alors âgé de 30 ans et demeure directeur de la dynamiterie de Paulilles durant une décennie, jusqu’en 1884. Durant son mandat, est nouvellement introduite à Paulilles la fabrication de dynamite gomme, dont la production industrielle succède à celle de dynamite ordinaire (fin des années 1870). En 1879, l’industrie privée est en outre autorisée à effectuer le transport de la dynamite par chemin de fer, au même titre que les manufactures d’Etat, pour lesquelles l’autorisation a été accordée en 1873. Dans l’intervalle toutefois, la fabrique de Paulilles est le théâtre d’explosions mortelles, survenues notamment en 1877 et 1882. Certains membres du personnel suivront néanmoins Xavier Bender dans l’établissement d’une nouvelle dynamiterie, dont l’implantation a lieu cette fois dans le département de Seine et Marne[7].

Création des dynamiteries de Cugny, de Gamsen et de Guéling

 


Société Française des Explosifs - En-tête - 1900

 

En 1884, Xavier Bender quitte en effet l’usine de Paulilles, pour devenir administrateur délégué de la Société Française des Explosifs, société anonyme concurrente de celle d’A.  Nobel, et fondée par un groupe d’entrepreneurs de travaux publics. Il est alors chargé de la construction d’une dynamiterie sur le site de Cugny, dépendant de la commune de La Genevraye (Seine et Marne). Celle-ci est mise en route avec un noyau de quelques spécialistes issus, comme lui, du Roussillon[8].

Au cours de sa gestion de l’usine de Cugny, il est également chargé de la construction de la dynamiterie de Gamsen, près de Brigue, dans le canton du Valais (Suisse), dépendant de la Société Suisse des Explosifs. Renouant en quelque sorte avec l’ancienne pratique des constructions temporaires, cette dynamiterie, est spécialement édifiée en vue du percement du tunnel du Simplon (1895)[9].

Gardiens de la dynamite - Tunnel du Simplon - 1901

 

En 1909, après avoir quitté la direction de l’usine de Cugny, Xavier Bender est chargé de la construction de l’usine de dynamite de Guéling, située sur la commune de Bouzonville, dans le département de la Moselle dont il est originaire. Cette dynamiterie est spécialement érigée pour assurer la fourniture en explosifs de la région lorraine, dont l’activité minière est alors en plein essor. Dès avril 1914, l’usine est toutefois destinée aux productions de guerre et placée sous l’autorité d’administrateurs allemands.

Administrateur de nationalité française, Xavier Bender est en conséquence démis de ses fonctions : « L’usine de Guéling, en 1913 avait commencé à produire quand en Avril 1914, l’autorité allemande a demandé au Président du Conseil d’Ad.tion de s’assurer de la démission des deux administrateurs français, dont M. Bender, pour raison que l’usine allait recevoir des Commandes de Guerre et que d’autre part, toute la direction de l’usine soit remise à des Allemands. Une vraie expropriation » affirme ce dernier[10]. Cette mission marque la fin des productions de dynamite en temps de paix et constitue la dernière étape avant la déclaration de guerre et le retour à la lutte armée sur le front de l’Est. Xavier Bender est alors âgé de 69 ans.

Un pionnier de l’industrie des explosifs

Dans le contexte qui suit la défaite de 1870 et malgré les explosions mortelles à Paulilles de 1877 et 1882, en s’entourant d’Alsaciens et d’un « personnel d’élite, français jusqu’à la moëlle des os », Xavier Bender semble avoir gardé, après son départ des Pyrénées-Orientales, l’estime de ses concitoyens. Une liste de membres de la première équipe de l’usine de Paulilles, établie en 1886, exprime ce sentiment : « Bender, un brave soldat qui avait gagné la croix sur le champ de bataille, nommé membre de la Chambre de commerce[11] ; Guerber[12], un proche parent du député de ce nom qui défend comme protestataire les intérêts français dans le parlement de Berlin[13] ; Heydt, l’agent comptable et, en dehors de cette famille, Hennequin, de l’Ecole Polytechnique, Révillon, de l’Ecole des Arts et métiers, etc, etc[14] ».

Xavier Bender fut également maire de la commune de La Genevraye (Seine et Marne) pendant 22 ans, du 24 décembre 1899 au 11 juillet 1922, et administrateur de la Caisse mutualiste des retraites ouvrières et paysannes de ce département à compter de sa fondation le 7 décembre 1912. Un certain nombre de Roussillonnais qui l’ont accompagné en Seine et Marne en 1884, y ont fait souche[15]. En 1924, lors de sa nomination au grade d’officier de la Légion d’honneur, X. Bender compte un demi siècle de services dans l’industrie privée des explosifs. A ce titre, il figure parmi les pionniers de l’industrie des explosifs en France, ayant contribué à l’essaimage de cette industrie en France et en Suisse limitrophe.

Descendance

Enfin de la descendance de l'industriel, administrateur de la Société Française des Explosifs, est connue une fille, Madeleine Bender (1878-1959), dont les fiançailles sont annoncées par voie de presse en juin 1909. Le mariage a lieu avec le docteur Kampmann, docteur en médecine, fils d'un agent de change, probablement Théodore Kampmann, agent de change domicilié à Strasbourg. En 1936, lors d'une augmentation de capital de la société, désormais porté à 5 millions de francs, Madeleine Kampmann prend une participation de 11 actions nouvelles de 500 francs chacune. La société est dominée par les établissements Davey-Bickford Smith et Cie, fabricants de mèches à Rouen, actionnaires majoritaires et associés de longue date aux destinées de l'entreprise.

Edwige PRACA



[1] AN dossiers Bender François Alexandre Xavier LH 19800035/0169/21687 et 177/47.

[2] Sur Paul Barbe, cf Praca Edwige, Les débuts de l’usine de dynamite de Paulilles, étude commanditée par le Conservatoire du Littoral région Languedoc-Roussillon, 2000.

[3] AN dossier Xavier Bender LH 19800035/0169/21687.

[4] Praca Edwige, Les débuts de l’usine de dynamite de Paulilles op. cit et Les débuts de la dynamite en France, à paraître.

[5] AN dossier Xavier Bender LH 19800035/0169/21687. Il avait opté pour la nationalité française, en date du 6 mai 1871 à la mairie de Nancy, à la suite de l’annexion du canton de Phalsbourg par les Prussiens. Après son départ de la dynamiterie de Paulilles, il se rend d’abord aux forges de Liverdun (Meurthe), propriété de Paul Barbe.

[6] Archives privées de la Société générale, CA de la société Nobel, 12-11-1875.

[7]  Ex : Léon Garde (1854-1899), et E. Révillon, ingénieurs.

[8] AN dossier Xavier Bender LH 177/47 et document dactylographié par R. Michel transmis par la mairie de La Genevraye le 4-12-1998, que nous remercions ici.

[9] AN dossier Xavier Bender LH 19800035/0169/21687 et http://www.satw.ch/publikationen /technoscope/TSC _06_1_f : Technoscope 1/06, « Simplon. Les tunnels : une ouverture sur le monde ». Les premières dynamiteries étaient éphémères, établies à proximité des chantiers dans lesquels la production devait être utilisée.

[10] AN dossier Xavier Bender LH 19800035/0169/21687.

[11] AN dossier Xavier Bender  LH 19800035/0169/21687 : il est nommé membre de la Chambre de commerce de Perpignan en 1883.

[12] Caissier de la dynamiterie de Paulilles, dans les Pyrénées-Orientales.

[13] Il s’agit de Joseph Guerber (1824-1909), né à Wissembourg, décédé à Strasbourg, chanoine de la cathédrale. Il fut de 1874 à 1898 député protestataire de la circonscription de Guebwiller au Reichstag : mention de son décès à l’âge de 85 ans in Journal des débats du 18-6-1909, n°197.

[14] Médiathèque de Perpignan, Rt 241. Lettre de J.-J. Roux adressée de St Génis des Fontaines au journal L’Indépendant, 26-12-1886.

[15] A.N. dossier LH 177/47 et CA de la société Nobel, 12-11-1875. Egalement document dactylographié par R. Michel transmis par la mairie de La Genevraye le 4-12-1998, que nous remercions ici.

 

POUR EN SAVOIR PLUS

PRACA Edwige, Dynamite - Paulilles - Xavier Bender directeur - Ephémérides 1875-1878, site Amis de Paulilles, rubrique Administration/Patronat.

PRACA Edwige, Survivants de Toul - 1870, site Amis de Paulilles, rubrique Etudes.