Paul CHAMPION - 1838-1884 - Photographe et chimiste de la dynamite

 

Paul Champion en habit chinois - cliché RMN

 

Né et domicilié à Paris, Paul Champion (1838-1884) est l’un des trois premiers chimistes chargés de la fabrication de dynamite en France. Pour mémoire, les trois chimistes actuellement connus comme pionniers de cette fabrication sont Paul Champion et son assistant Henri Pellet (1848-1918), chargés de la production de dynamite lors du siège de Paris (1870), ainsi que Frédéric Combemale (1848-1908), chargé de la production de dynamite à la fabrique de Paulilles (Pyrénées-Orientales).

Célèbre par ses origines familiales et pour avoir photographié la Chine en 1865, Paul Champion est reconnu par ses pairs pour la mise en place du processus industriel de fabrication de la dynamite lors de la guerre franco-prussienne. Sa trajectoire, ensuite occultée sous l’effet de la défaite et de son décès prématuré à l’âge de 45 ans, est désormais retracée dans le prolongement des études relatives à la dynamiterie de Paulilles et plus largement, dans le cadre de l’histoire de la dynamite en France.

Edme Champion (1764-1852) : « Le petit manteau bleu »

 

Edme Champion - Chromolithographie

Issu d’une famille notoirement connue de la capitale, Paul Champion est le petit-fils d’Edme Champion (1764-1852), provincial devenu grand bijoutier parisien, enrichi sous les évènements révolutionnaires et l’Empire. Domicilié en dernier ressort rue de Valois à Paris, au cœur historique de la capitale, Edme Champion est surtout popularisé par son surnom de « petit manteau bleu » figurant jusque sur son acte de décès. Personnalité charismatique, celui-ci est en effet célébré de son vivant non pour la rapidité et l’importance de sa fortune, mais pour l’oeuvre philanthropique qu’il mène auprès des pauvres de Paris et de province, et que la littérature hagiographique contribue à entretenir et à amplifier.

Du mariage d’Edme Champion avec Edmé Marie Jobbé est issu Théodore Champion (1806-1863), né paroisse Saint Eustache à Paris le 8 avril 1806. En 1834, celui-ci épouse à son tour à Belleville, Agathe Zélie Boucher, née le 30 octobre 1815, également originaire de la paroisse Saint Eustache. De l’environnement familial de Zélie Boucher est surtout connu un frère juriste, d’un an son aîné, Charles Alphonse Boucher, ayant soutenu sa thèse pour la licence en 1836, sous la présidence du professeur Duranton. Celui-ci apparaît en effet présent, à titre privé mais aussi probablement de conseil, lors des principaux événements familiaux.

Du mariage de Théodore Champion et Zélie Boucher naissent à leur tour deux enfants : Edme Théodore (1836-1915) et Paul Champion (1838-1884). Fils aîné de la famille, Edme Théodore Champion voit le jour le 10 juillet 1836 dans l’ancien 11e arrondissement de Paris. A l’instar de son oncle, celui-ci poursuit également des études juridiques et devient licencié en droit mais, propriétaire et bénéficiant d’une fortune familiale, il mène surtout une carrière d’historien, ponctuée de nombreuses publications dans la seconde moitié du XIXe siècle. Ce goût pour les lettres est de fait en rapport avec l’activité paternelle.

Théodore Champion (1806-1863) : éditeur et libraire

Le 30 mars 1838 naît en effet dans le même arrondissement, Paul Champion, frère d’Edme Théodore et fils cadet de Théodore Champion et de Zélie Boucher. Selon un extrait de naissance ultérieur, délivré par la préfecture de la Seine[1], le domicile familial serait en 1838 situé « 30 rue du Pont de Londi », Théodore Champion figurant dans ce document comme « marchand de papiers ». La recherche actuelle permet désormais de modifier et de préciser ces mentions. En réalité, le domicile familial est fixé non au 30 mais au 3 rue du Pont de Londi, rue récente du quartier de la Monnaie centralisant alors plusieurs « maisons de librairie ». A cette adresse est située la maison « Tamisey et Champion », dont le catalogue d’édition et de vente est partiellement connu.

En 1839, cette maison édite ou commercialise les oeuvres de François Victor Raspail : « Manuel annuaire d’agriculture et d économie rurale », mais aussi « Lettres sur les prisons de Paris ». Elle publie Vallouise, « L’esprit de la Montagne ou les grands hommes de la Révolution », série de feuilles biographiques respectivement consacrées à « Robespierre, Danton, Marat, St Just, Camille Desmoulins et Billaud Varennes ». Elle édite enfin Chateaubriand, « Les Natchez, suivis de Mélanges  politiques ». A la seconde génération représentée par le libraire Théodore Champion, cette production répond tout d’abord aux aspirations intellectuelles du fondateur de la lignée, Edme Champion, de formation autodidacte et de discours anciennement révolutionnaire. Elle induit dès lors une démarche éditoriale héritée à la fois de la posture paternelle et représentative du romantisme contemporain.

Après le décès d’Edme Champion en 1852, ce romantisme mâtiné d’exotisme est ensuite mis en pratique par Paul Champion, descendant de la lignée à la troisième génération. Voyageur sous l’Empire libéral, celui-ci est en effet délégué en Chine par la Société d’Acclimatation. Chimiste de formation et photographe de la Chine en 1865, auteur d’un album de « Voyage en Chine », Paul Champion devient à son retour conférencier, co-auteur en 1869 du livre « Industries anciennes et modernes de l’Empire chinois ». Secrétaire et aide chimiste de Louis Davanne (1824-1912), lui-même président de la Société française de photographie de 1867 à 1901, il est alors mentionné comme préparateur de chimie au Conservatoire des arts et métiers et à l’Ecole centrale des arts et manufactures, professeur de chimie à l’Association polytechnique. De cette pépinière scientifique émerge un an plus tard, la fabrication industrielle de la dynamite.

Paul Champion (1838-1884) : chimiste de la dynamite

 

 

En 1870, lors de la guerre franco-prussienne, la mobilisation scientifique remplace en effet l’émulation des temps de paix, et les ingénieurs et chimistes, brusquement investis de la défense nationale, attribuent désormais à leurs recherches une finalité militaire. Après des essais en laboratoire confirmant l’intérêt de la nitroglycérine, Paul Champion est ainsi chargé de la fabrication « en grand » de la dynamite[2]. Invention du Suédois Alfred Nobel en 1865, concomitante du voyage de P. Champion en Chine, cette substance était interdite en France sous le Second Empire. Désormais autorisée par la suppression du monopole d’Etat sur la fabrication des poudres, sa fabrication est mise en oeuvre par Paul Champion et son assistant J.-B. Henri Pellet, chargés d’une production militaire à concurrence de 300 kg par jour.

Invariablement, le processus de fabrication de la dynamite se déroule en deux temps : la première étape consiste en fabrication de nitroglycérine liquide, processus chimique suivi de la préparation de la dynamite, matière pâteuse résultant de l’adjonction à la nitroglycérine d’un absorbant poreux. Menée aux Carrières d’Amérique (Buttes Chaumont), cette production innovante se heurte alors à un double problème, à la fois d’ordre quantitatif et qualitatif.

Le premier problème est celui de la fabrication « en continu » de la nitroglycérine destinée, au stade industriel, à répondre aux besoins quantitatifs de la commande militaire. En 1870, Paul Champion résout cette question en appliquant le procédé Kopp, du nom d’Emile Kopp chimiste alsacien frère du directeur des hauts fourneaux de Ria (Pyrénées-Orientales). Connu antérieurement, ce procédé de fabrication est en la circonstance amélioré[3]. La seconde question réside dans la recherche d’un absorbant poreux, présentant de réelles propriétés de stabilité et d’abondance, et permettant de préserver la force explosive de la nitroglycérine lors de sa transformation en dynamite.

La démarche scientifique repose dès lors sur une série d’expériences graduées. En période d’occupation et de pénurie, la nitroglycérine est successivement mélangée à diverses matières de voisinage : plâtre des Buttes Chaumont, brique pilée, sucre, cendres résiduelles de l’usine à gaz voisine, dont les qualités absorbantes sont finalement validées. La découverte de cette matière est le fait de Marc-Antoine Gaudin, autre chimiste et photographe alors membre de la commission de « pyrotechnie », et dont les déambulations sur le terrain ont guidé la recherche. Menées dans un contexte d’urgence, ces démarches collectives conduisent en définitive à la fabrication industrielle de la dynamite à Paris.

Paul Champion : environnement social

 

 

Léon Leygue - Ingénieur

Au terme de la phase de laboratoire, testée à proximité des zones de combat lors de l’abattage de murs, d’arbres ou du creusement de tranchées, la dynamite est utilisée sur les champs de bataille. Incorporé comme lieutenant au Génie volontaire, attaché à l’état-major du général Tripier pour l’emploi de la dynamite[4], Paul Champion participe aux alentours de Paris aux sorties d’Avron, Bondy, Drancy, Bobigny et Buzenval. Décoré de la Légion d’honneur en janvier 1871, il fait don de sa pension de chevalier aux pauvres de Paris, dans la continuité des oeuvres philanthropiques de son aïeul, Edme Champion, élevé en son temps à un rang identique (1831).

En 1870, la résistance se pratique en famille. Parmi la parentèle de Paul Champion figure l’ingénieur Léon Leygue (1841-1925), également lieutenant au Génie civil, volontaire aux fortifications du Mont Valérien et secrétaire de la Société des ingénieurs civils de France[5]. Les deux hommes calculent notamment les températures de détonation des composés explosifs, et mesurent en pionniers l’action de la température sur la nitroglycérine. Au terme de la guerre, P. Champion publie son ouvrage de référence intitulé La dynamite et la nitroglycérine (1872), poursuit son enseignement et jusqu’aux années 1875, sa collaboration avec Henri Pellet ou encore Philippe Grenier, entrepreneur de travaux publics devenu dépositaire de la dynamite de Paulilles. Retiré de la vie publique pour raisons de santé, il décède célibataire à Paris en 1884.

Dans la longue durée, Paul Champion apparaît comme le produit d'une lignée dont la fortune s'érige initialement sur l'orfèvrerie puis la fabrication et le négoce du papier. Ces activités ouvrent  ensuite le champ à l'expérimentation :  prenant leur essor sous le Second Empire, photographie, minéralogie, mécanique ou chimie renouvellent en effet les intérêts et les liens sociaux de la famille Champion et alliés, confirmant son envergure et sa notoriété en divers secteurs publics ou privés (branches Dufay, Champion et Leygue). A cette famille se rattache enfin une tradition artistique et de charité, encore véhiculée par la presse jusqu'au coeur du XXe siècle.

E. PRACA

_____________________________

NOTES

[1] Disparition de l’ancien état-civil lors de la Commune.

[2] Célibataire âgé de 33 ans, il est préféré à des étudiants volontaires, dont la candidature est écartée en raison des risques encourus.

[3] Celui-ci est alors concomitant d’un nouveau procédé Nobel pour la fabrication en continu de la nitroglycérine, mais dont le modèle est gardé secret.

[4] Jules Tripier, général commandant le corps du Génie, chargé des travaux de défense « en avant des forts de Paris ».

[5]Léon Leygue, sur site Léonore : LH/1631/8 en 1886 - Paul Champion : LH/476/28 en 1871. Léon Leygue (1841-1925) est le frère de Marie Leygue (1839-1924), belle-soeur de Paul Champion et épouse en 1862 d'Edme Théodore Champion (1836-1915). Parmi les publications de Léon Leygue figure ultérieurement une : Notice sur l’achèvement du canal de Panama, Paris, 1889, 33 p.

 


BIBLIOGRAPHIE

CHAMPION Paul, Industries anciennes et modernes de l'Empire chinois d'après les notes traduites du chinois par M. Stanislas JULIEN, membre de l'Institut, et accompagnées de notices industrielles et scientifiques par M. Champion, Eugène Lacroix, Paris, 1869.

CHAMPION Paul, De la dynamite et de ses applications au point de vue de la guerre, Impr. Jailly, Paris, 1870.

LEYGUE P.A.L., CHAMPION P., "Appareil pouvant servir à mesurer les températures d'altération et de détonation des composés explosifs", in Académie des Sciences, Comptes rendus, LXXIII, Paris, 1871, p.1478.

CHAMPION Paul, La dynamite et la nitroglycérine : historique, préparation, propriétés, emploi, modes d'explosion, appareils électriques, applications à la guerre et à l'industrie, Paris, Librairie Polytechnique, J. Baudry, Libraire-éditeur, Paris, 1872.

ICONOGRAPHIE

Léon LEYGUE : Col. part. de M. W. REUTER, que nous remercions ici.

 ___________________________

 

CITATION DE PAUL CHAMPION

"Lorsque j'ai eu l'honneur de vouloir bien me faire remettre la pension de la décoration que j'ai reçue pendant le siège de Paris, j'ajoutais que cette pension serait intégralement versée par moi pour oeuvres de bienfaisance. Je vous adresse ci-joint le reçu de l'assistance publique de la somme que j'ai reçue jusqu'à présent" (AN, dossier LH, correspondance, Paris, 2-1-1872)

GENEALOGIE

Pour mémoire, Edme Champion "Le petit Manteau Bleu", aïeul de P. Champion, est décédé à Châtel Censoir, département de l'Yonne, le 2 juin 1852 (AD Yonne, Châtel Censoir, décès de 1823 à 1852 : 2E91/12, 5Mi274/3, acte n°12 du 2-6-1852). Il est inhumé à Paris. De son mariage avec Edmée Marie Jobbé sont issues au moins deux branches familiales bien documentées :

- celle d'Aimée Françoise Champion (v.1797-1870) épouse d'Auguste Etienne Dufay (1790-1867), fabricant de papier associé à son frère Marc Louis Adolphe dans la propriété des papeteries de Béthisy St Pierre (arr. de Senlis) et de Cercanceaux (com. de Souppes, arr. de Fontainebleau)

- et celle de Théodore Champion (1806-1863), libraire, éditeur et négociant, époux d'Agathe Zélie Boucher (1815-1894), père d’Edme Théodore Champion (1836-1915), historien et de Paul Champion (1838-1884), chimiste.

Paul Champion est dès lors le cousin de Caroline Dufay (1822-1897), épouse en 1840 de Ferdinand Lanon de la Renaudière, pour sa part issu d'une importante famille de fabricants d'encre, et fils de l'un des fondateurs de la Société de Géographie.

Il est aussi l'oncle d'Edmée Champion (fille d'Edme Théodore, frère de P. Champion), épouse en 1886 d'André Bénac, alors auditeur au Conseil d'Etat. Les témoins de la mariée sont Léon Leygue, ingénieur, et Emile Boutmy, membre de l'Institut et directeur de l'Ecole des Sciences Politiques qui, "frappé par l'ignorance des questions politiques de l'opinion pendant la guerre de 1870 et la Commune", est l'un des fondateurs de cette école en 1872.

 


POUR EN SAVOIR PLUS

PRACA Edwige, Formes et limites de l'engagement dans l'effort de guerre. Un exemple : la naissance de l'industrie de la dynamite en France (1870-1871), conférence CTHS, Université de Perpignan, 5-5-2011.

PRACA Edwige, Edme CHAMPION - 1764-1852 - Notice du Chocolat Poulain, site E. Praca, rubrique Société.